Démarrant ma carrière en 1967 j’ai découvert au bout de quelques mois le circuit imprimé. Je me rappellerai toujours de la visite de l’usine en 1967 d’Electronics Circuits à Dampmart dans le 77, peu de temps après mes débuts. J’avais été reçu par la famille Daniloff ; ils avaient lancé leur usine de circuits imprimés dès 1961 et nous sommes restés amis depuis ce temps avec Michel Daniloff qui se souvient aussi de cette visite.
En découvrant ce jour-là que l’on pouvait faire des circuits double face avec des trous métallisés j’ai tout de suite perçu que le circuit imprimé était le futur de l’interconnexion et qu’il ferait plus que remplacer les câbles ; je l’imaginais comme toutes les colonnes dans les immeubles pour passer l’eau et l’électricité et tout cela sur une surface plane en utilisant la métallisation pour relier les étages superposés.
J’ai passé 55 ans dans le domaine du circuit imprimé et il m’intéresse toujours. Il n’y a pas de circuit imprimé standard et on le repense avec chaque nouveau produit. Une autre raison de mon amour pour ce domaine est que la vie difficile et agitée dans ce métier m’a permis de rencontrer beaucoup de personnes passionnantes et j’ai créé et gardé des amitiés solides.
Deux des personnes qui m’avaient marqué et que j’avais appréciées ont quitté ce monde dans les mois qui viennent de s’écouler et je voudrais leur rendre hommage.
Dans les années entre 1970 et 1995 Michel Colonna était "La Référence" dans le domaine des circuit imprimés. Michel avait contribué en 1979 à la rédaction d’un article dans l’Encyclopedia Universalis sur le circuit imprimé et en 1988 avait rédigé un article de base dans Les Techniques de l’ingénieur. Cet article définissait tous les matériaux de base, leurs propriétés, les normes.
L’article est toujours d’actualité et on y trouve toutes les technologies (multicouches, flex rigide, hyper fréquences..) et tous les matériaux. Cet article que j’avais toujours avec moi et que je consultais me permettait de connaitre et rechercher tous les produits du futur et il a servi à beaucoup en France.
Dans ces temps-là ,dans les années entre 1965 et 1985 ,l’industrie des circuits imprimés professionnels était essentiellement nord-américaine et celle destinée au grand public venait d’Asie.
Michel est parti souvent aux USA pour visiter les principaux fournisseurs de matériaux et définir les produits à utiliser dans des applications défense, militaire et aérospatial et nous y avons été ensemble plusieurs fois. Il était responsale normalisation au niveau international pour le circuit imprimé. Il travaillait chez Thomson et s’intéressait à comprendre les produits comme Teflon, Kapton, Kevlar.. et comment les utiliser et disposer des mêmes produits et des mêmes technos en France comme aux USA pour faire des cartes pour le militaire ou le spatial .Tous ces produits étaient utilisés pour des conditions difficiles.
L’histoire du circuit imprimé commence avec lui et d’autres et il faut réaliser l’importance de celui qui pose les règles, les normes. Le domaine spatial, militaire, aéronautique et défense a eu des personnes comme Michel qui travaillaient avec les fabricants de circuits imprimés et heureusement il en reste encore.
Je crois que dans les années 85, on est passé de l’état où tous les circuits de haute qualité faits aux USA ont commencé à être faits en Europe.
Michel a fait sa carrière chez Thomson, à Bagneux et à Sartrouville A l’époque Thomson CSF (Brandt ,Houston) renommée Thales touchait à tous les domaines et avait fait des usines pour fabriquer des TV , l’électronique des avions, des moyens de communication, des armes et il fut un temps où il y avait 10 usines de circuits imprimés Thomson en France.
J’ai bien connu Michel Colonna Ceccaldi et nous avons été des amis proches à travers les années.
Michel Colonna était un homme très cultivé et dans tous ses voyages il visitait des musées et m’envoyait des lettres dans lesquelles il me racontait ce qui lui avait plu. Il s’était beaucoup impliqué dans la commune de Verrières Le Buisson et lors de la cérémonie funèbre les intervenants ont parlé de sa culture, de son amour pour la musique et l’art. Il fut le président des amis du musée de Verrières et fut à l’origine de nombreuses actions concernant le Verrières d’autrefois.
Avec Michel je suis resté ami à travers les temps et en 2019 nous avons fait un diner d’anciens avec Pierre Dariot, Serge Villard, Casimir Nowakowski, Jean Guillaume et Norbert Bokobza.
Il est dans ma mémoire un de ces hommes qui m’ont marqué par la qualité des rapports qu’il entretenait avec tout le secteur et la modernité permanente de ses actions et aussi un symbole de tous ces entrepreneurs qui ont monté leurs usines et qui ont passé des temps difficiles.
Roland Jacquet qui habitant à Lyon a eu de nombreux contacts avec Fernand Frachon a écrit ces quelques lignes pour saluer sa mémoire : « Ma première rencontre avec Fernand Frachon a eu lieu au 1er étage d’un tout petit local à Bron, dans la proche banlieue Est de Lyon, où Cirly avait installé quelques équipements pour fabriquer leur tous premiers Circuits Imprimés . Je crois qu’il m’a tout de suite mis à l’aise avec son grand sourire ; j’ai compris que la confiance était là , malgré mon statut de « débutant ignorant » mais qu’il faudrait en être digne pour la maintenir . Cette confiance est toujours restée avec le temps, mais avec constamment ce challenge de se dépasser pour la mériter dans la durée, toute parole devant être tenue !
Son association avec Thierry Pahud, trop vite disparu, était également basée sur ce type de confiance et il en fallait pour traverser les balbutiements de la métallisation chimique , électrolytique de trous percés sur la perceuse à « scope » un à un manuellement avant les premières commandes numériques à bande perforée ; puis les débuts du multicouches dans les nouveaux locaux de Gerland cette fois ci ! Une presse, des prepreg, un etch Back , un ‘’ Black Oxyde ‘’ , que de mots ‘’grosgrossiers’’ et inconnus à faire passer pour quelqu’un qui se disait ‘’nul en technique ‘’ , mais qui a su si bien insuffler à son équipe la fibre ‘’ circuit imprimé ‘’ et surrtout ‘’ service ‘’ , qui ont fait , et font toujours la force de Cirly. Avec Eric Boone il a su surfer, un peu avant tout le monde, sur la vague internet qui allait déferler très vite fin des années 90 . Respecter ses engagements dans le monde des prototypes à délais ultra courts a été son credo de toujours, et la transmission de cet ADN à la nouvelle génération s’est faite dans ce même état d’esprit, en douceur et fermeté pour la bonne continuité de la société.
Un dernier déménagement en dehors de Lyon, mais en restant proche néanmoins de ses racines, mené une nouvelle fois à la perfection, avant de s’effacer pour laisser s’épanouir ses enfants, et la boucle était bouclée .Il a été un exemple, finalement assez rare dans notre profession, qui a connu tant de transformations avortées depuis 30 ans.
En parlant de ceux qui nous ont quitté je voudrais dire quelques mots sur ce métier qui a rempli ma vie et qui m’a permis de connaitre tant de personnes de qualité.
En 1990 il y avait en France 200 fabricants travaillant pour les télécommunications, l’industrie, l’informatique, le militaire et l’aéronautique et tout ensuite a commencé à être délocalisé ; c’était l’arrivée du fameux « Fabless »
Il reste une vingtaine de fabricants aujourd’hui.
J’avais exprimé à un dirigeant d’une grande entreprise combien je trouvais très mauvaise cette délocalisation gérée seulement par le prix le plus bas et qui nous entrainait vers une complète désindustrialisation et il m’avait répondu :
« Nous sommes un pays de recherche et de développement ; laissons la fabrication à des pays où les salaires sont moins élevés et nous on fera la recherche et on leur dira quoi fabriquer ».
Michel Colonna a apporté des bases à nos métiers, Fernand Frachon dans ce qu’il a fait et ce qu’il a transmis (et qui perdure) est un bel exemple des entrepreneurs du circuit imprimé.
Je suis avec le temps heureux et fier d’avoir choisi ce métier et en dépit des nombreux moments difficiles et d’avoir rencontré des personnes comme les deux qui viennent de nous quitter.
Le circuit imprimé est un très beau métier mais aussi très ingrat et en rendant cet hommage, je voudrais saluer tous ceux qui se sont battus et j’espère que le futur sera bon et que l’on redonnera la valeur à l’industrie et à ce qu’elle apporte à notre pays.