Nous pensons à George Ohm, un physicien allemand, quand nous manipulons des résistances. La même chose, avec le scientifique anglais Michael Faraday lorsque nous sélectionnons nos condensateurs, et avec l’américain Joseph Henry quand calculons des valeurs d’inductances. Tandis que le 19ème siècle souriait gentiment à nos trois composants électriques élémentaires, l’intérêt semble s’être émoussé quand on s’est mis à quantifier les caractéristiques de l’humble fusible.
Si quelqu’un devait recevoir les honneurs pour le développement du simple fusible dont le nom vient du latin fusus1 (fondu) - ce serait sûrement Arthur C. Cockburn. Même si la toute nouvelle à l’époque, Société des Ingénieurs en Télégraphie de Londres, s’est moquée de la précision des expériences de Cockburn lors de sa réunion de 1888, celle-ci démontrait ses efforts pour déterminer scientifiquement les facteurs à prendre en compte pour créer un fusible fiable. Ses travaux ont permis de déterminer que les fusibles devaient être calibrés pour "sauter" en présence d’un courant entre 150% et 200% du courant nominal du circuit à protéger2. Les ouvriers du télégraphe devant être protégés de la foudre, et l’éclairage électrique n’en étant encore qu’à ses débuts, le fusible est devenu un élément de sécurité essentiel pour une industrie naissante.
Les fusibles sont des dispositifs sacrificiels basés sur une mince section de fil, conçue pour fondre et stopper le flux de courant, si un courant excessif devait circuler dans le circuit à protéger. La plupart des ingénieurs électriciens avec plus de dix ans de carrière peuvent sûrement remercier quelques fusibles pour cette longévité. Contrairement aux autres composants, les fusibles sont dimensionnés selon deux grandeurs : le courant et le temps. La limite de courant définit la limite supérieure du flux de courant admissible avant que le fusible ne soit sacrifié. Le facteur temps permet de prendre en compte les surtensions naturelles au-delà de la limite de courant spécifiée, qui se produisent par exemple lors d’un appel de courant à la mise sous tension.
C’est la nature "sacrificielle" du fusible qui pose problème, puisque quand il saute, quelqu’un un technicien de maintenance par exemple doit vérifier la raison pour laquelle le fusible a sauté, et le remplacer si cela peut se faire sans danger. Cela prend du temps, provoque des retards, et peut s’avérer difficile et coûteux selon la manière dont le fusible est intégré et selon l’accessibilité de l’équipement.
Souvent, la surintensité est due à une erreur de l’utilisateur, comme par exemple en cas de court-circuit suite à l’insertion d’un dispositif USB défectueux dans un PC ou un ordinateur portable. Plutôt que d’utiliser un dispositif sacrificiel, les alimentations de ces dispositifs font souvent appel à un fusible réarmable PTC (Positive Temperature Coefficient, ou coefficient de température positif). Il s’agit d’une résistance de très faible valeur, dont la résistance électrique augmente rapidement avec la température en cas de courant excessif suite à un défaut, et qui limite ainsi le flux de courant. Une fois le défaut disparu ou corrigé, le dispositif refroidit et retrouve sa faible résistance initiale. Dans le monde d’aujourd’hui où les produits électriques sont généralement assez sûrs, les fusibles réarmables PTC assurent une protection sans nécessiter de technicien pour la remise en service une fois que la cause de la défaillance a été éliminée le plus souvent une erreur de l’utilisateur.
Il faut noter qu’aucun de ces deux dispositifs n’est particulièrement rapide à assurer la protection. Les fusibles mettent en général une seconde à sauter, tandis que les dispositifs PTC commencent à réagir plus vite mais peuvent mettre plusieurs secondes avant de parvenir à limiter effectivement le courant. Si les fusibles coupent complètement l’alimentation des appareils, les dispositifs PTC laissent toujours passer un peu de courant, même après leur déclenchement. Le fonctionnement des deux types de fusible dépend aussi de la température ambiante, de sorte qu’un déclassement pour des températures de fonctionnement plus élevées doit être pris en compte lors de la conception.
La technologie semi-conducteurs est utilisée pour améliorer ou remplacer divers composants depuis des dizaines d’années et, plus récemment les fusibles électroniques (eFuse en anglais) ont poursuivi cette tendance en remplaçant les fusibles classiques et les fusibles réarmables PTC. Les cartes-mères d’ordinateurs, en particulier les pistes de circuit imprimé alimentant les disques durs SATA et les ports USB, bénéficient de la protection améliorée qu’offrent les fusibles électroniques, et de la possibilité de réinitialiser ceux-ci une fois le défaut supprimé, grâce à une simple interface logique.
Les fusibles électroniques s’appuient sur des procédés silicium avancés mettant en oeuvre des commutateurs MOSFET à faible résistance, qui réduisent les pertes quand le courant circule. Les comparateurs analogiques intégrés sont capables de surveiller avec précision le flux de courant, et de réagir en moins d’une microseconde pour couper complètement l’alimentation. Le processeur hôte peut ensuite prendre une décision quant à la cause de la panne et au moment opportun pour rétablir l’alimentation via l’interface de l’eFuse.
S’agissant d’un dispositif au silicium, il offre bien sûr toute une série d’autres caractéristiques utiles. La surveillance de l’éventuelle surchauffe, l’écrêtage en cas de surtension, le verrouillage en cas de tension insuffisante, et la protection contre les courants inverses, ne sont que quelques-uns des précieux atouts fournis par ces nouveaux dispositifs.
Bien entendu, toute application alimentant des sousmodules complémentaires, comme des sondes d’oscilloscope ou des PLC (Programmable Logic Controller, ou automate programmable), pourra tirer profit de la technologie eFuse. Des dispositifs comme ceux de la série TCKE8xxx de Toshiba sont faciles à intégrer grâce à leur boîtier WSON10B compact de seulement 3,0 x 3,0 x 0,7 mm (Figure 1). Ces dispositifs déclenchent sur un courant de court-circuit de 5,0 A avec une précision de ±11%, et sont soit réarmables automatiquement, soit verrouillables selon les modèles. Grâce au comparateur intégré à déclenchement rapide, ces dispositifs coupent l’alimentation en 150 ns en cas de défaut. La série est certifiée IEC 62368, ce qui facilite grandement la tâche des concepteurs qui doivent se conformer aux modes de défaillance d’unité unique.
La résistance à l’état passant (RON) du commutateur intégré est un très respectable 28 mΩ, tandis que la pente de courant d’appel autorisée, et le verrouillage en cas de tension insuffisante, peuvent être ajustés à l’aide de composants externes. La surveillance de température interne assure également la protection, et quand la température atteint 160°C la sortie du dispositif est automatiquement coupée. Selon le modèle d’eFuse sélectionné, la protection peut être verrouillée et nécessitera alors une réinitialisation via la broche d’activation EN, ou l’alimentation peut être rétablie automatiquement une fois la température redescendue d’environ 20°C. L’écrêtage assuré en cas de surtension est fonction du dispositif eFuse sélectionné.
Un eFuse offre une protection idéale et compacte pour les chargeurs USB et les packs de batteries, en protégeant la prise de charge (Figure 2). Le TCKE805NL offre un ajustement optimal en assurant une protection à verrouillage ainsi qu’un écrêtage à 6,04 V en cas de surtension. Une résistance 75 kΩ connectée à la broche ILIM permet de limiter le courant à 1,5 A, tandis qu’un condensateur de 2 nF connecté à la broche dV/dT assure une rampe de démarrage de 4 ms. Des condensateurs de 1,0 μF en entrée et en sortie sur les broches VIN et OUT atténuent l’overshoot (surtension transitoire) et l’undershoot (sous-tension transitoire) lors de brusques variations du courant. Si nécessaire, un FET canal-N peut également être intégré pour protéger contre les courants inverses.
Il est dommage que ce pauvre fusible n’ait pas connu la même reconnaissance que ses homologues, bien qu’il ait été étudié scientifiquement à peu près à la même époque. Il est pourtant certain que les fusibles classiques et les fusibles réarmables PTC participent à la sécurité de nos circuits depuis de nombreuses années. Toutefois, le type de protection dont nous avons besoin aujourd’hui est surtout contre les erreurs humaines, plutôt que contre des défaillances système. Les eFuses configurables assurent aux applications une protection fiable mais réinitialisable, ce qui prolonge la durée de vie des applications, tout en évitant le plus souvent l’intervention d’un technicien.